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Parjure

Préambule : Ce truc parle principalement du poids du militantisme handi, parce que c’est celui que je subis le plus (pas que, féministes, gauchistes, etc, coucou) mais de ce que j’observe, j’ai l’impression que c’est assez transposable aux autres communautés.

Petit peuple militant de twitter (ou d’ailleurs, mais je te fréquente rarement ailleurs), je ne te remercierai jamais assez de m’avoir ouvert les yeux et l’esprit sur tant de vécus, tant d’idées. Vraiment. Des gens que je n’aurais jamais croisé IRL, des échanges comme il ne s’en passe nulle part ailleurs. Une efficacité dans le relai d’informations, de besoins, de solidarité.
Tellement d’intelligence que j’ai souvent pâli de honte devant la somme de mes erreurs, jugements, faiblesses. Rougi de mes manques de finesse. Encore souvent.
Mais de plus en plus, copain vindicatif, je soupire de lassitude en te lisant.

Que tu le permettes ou non, je vais sortir de cette spirale d’exigence et dire un peu fuck. Pouce, cabane.

Je sais que toi aussi tu soupires parfois en me lisant, et même que tu me prends un peu de haut. Parce que tu considères que je pourrais être plus utile à la cause. Oh, oui, sûrement.

Je veux bien tout avouer.

Je ne suis pas toujours solidaire, pas toujours exemplaire, pas toujours pertinente. (Je t’ai déjà dit que je n’étais pas une leçon de vie ?)
Je partage rarement les infos sur le montant de nos allocs, les lois sur la santé, les reculs d’accessibilité, l’actu handi-hi-tech ou caritative…
Quand je lis un récit de discrimination, je dis « ohlala » et je retourne jardiner.
Quand tu fais une cagnotte pour financer ton adaptation ou projet, je l’ignore. Quand tu cherches des gens pour t’aider, je sifflotte et prends un air absorbé sur l’air de ohlala vous avez vu l’explosion du prix au kilo du topinambour  ?
Je critique tout et je ne fais rien.
Pourtant j’ai des supers idées très constructives, j’ai dit mille fois « Oh ce qu’il faudrait qu’on fasse c’est… ». Et mille fois j’ai fui dès la fin de ma propre phrase. Désolée, il fallait que j’aille arroser mes tomates.
J’ai fait toutes les manifs pour le mariage pour tous, j’ai marché contre le racisme, la précarité du travail, pour l’IVG. (Oh avec beaucoup de parcimonie hein, n’allez pas croire que je fais ça tous les dimanches) Des sujets qui ne me concernaient pas directement. Je n’ai ja-mais mis une roue dans la rue pour le handicap.
Quand on me demande de m’impliquer, j’ai arrêté de dire “oui, peut-être, je verrai”, j’assume de dire non.
Si on se croise sur twitter, je regarde ta bio, et si je vois handicap, je grimace et passe mon chemin. (Si je te suis quand même, sache que je te trouve VRAIMENT cool, probablement pour d’autres raisons <3)
Le mot « »camarade » me donne des boutons.
Je soutiens plus volontiers un ami triste d’un petit chagrin quelconque, plutôt qu’un handi en détresse, d’une galère que je connais pourtant bien , et pour laquelle je pourrais être d’une véritable aide concrète. Parce qu’un ami, quoi, le reste importe peu. (Et puis personnellement, les peines de coeur et le manque de lumière me soucie beaucoup, beaucoup plus que mon handicap)
D’ailleurs quand j’ai un problème, j’accorde souvent plus de valeur au soutien maladroit du valide qui ne bitte rien à ma situation, qu’au soutien quasi professionnel du vieux routard handi. (parce que ça dénote, du coup, d’un plus grand effort de compréhension, indépendamment du but atteint, ça me touche donc plus) (moralement parlant, bien sûr, les ressources concrètes sont plus efficaces entre concernés)

J’ai des attitudes validistes, sûrement, plein. Tout ce qui précède mais pas seulement. (Mais les regarder en face, c’est déjà bien)

D’ailleurs quand tu cries que les valides sont vraiment trop discriminants, je suis la relou qui viendra peut-être les défendre.

Parjure, absurde, si tu veux.

C’est vrai que je ne suis pas une militante à la hauteur. En fait je n’ai pas demandé à être militante du tout, tu sais ? J’ai rien signé.

Quand le handicap te tombe dessus, il y a tous ces trucs que tu ne peux pas faire, ou que tu dois faire différemment. Ça, chanceuse, j’ai jamais eu de mal à m’y faire.
Par contre, le rôle qu’on voudrait me voir endosser, du seul fait du handicap, je l’ai toujours en travers de la gorge. Le déterminisme jusque dans tes luttes. Bien sûr je suis concernée, bien sûr ça m’intéresse, oui j’ai les capacités d’agir. Mais aussi une personnalité, une sensibilité, le choix de mes intérêts.

Et puis faudrait savoir, un jour, pour certains, je devrais être une leçon de vie courageuse, souriante qui ne se plaint jamais, et le lendemain le costume de super-handi implique de râler, réclamer et combattre en permanence ? Nan mais ça va la dichotomie ?!

Ma vie n’est pas une niaiserie, ma vie n’est pas non plus un combat.
Moi plus tu me demandes d’être gentille, plus je vais être cinglante. Plus tu me demandes de montrer les crocs, plus je vais… jouer les niaises, ouais peut-être. 🙂
Laissez-moi juste vivre avec et placer le curseur où je veux, merci.

J’ai pas le couteau sous la gorge, en vrai personne ne m’a dit aussi clairement que je n’étais pas à la hauteur, alors est-ce que je ne peux pas juste m’en foutre et sillonner ma petite route ? Est-ce que c’est grave tout ça ?

T’as entendu parler de la pression sociale ? C’est souvent insidieux et destructeur. Personne n’a besoin de ça.

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J’aurais dû m’inquiéter quand j’ai commencé à lire plein de trucs sur la colère, parce que merde, c’est quoi mon problème, pourquoi je suis jamais énervée comme vous, pourquoi j’insulte personne, pourquoi je trouve la vie si cool comme ça, je dois être vraiment naïve, j’ai des œillères, je me mens, vite, les trouver pour les arracher, c’est pas normal, je suis pas normale.
Et la violence. Pourquoi la violence, socialement, sa nécessité ? Physique, morale, institutionnelle… Je cherche, je décortique, je comprends les mécanismes. Je constate et comprends parfaitement que les gens la ressentent. Mais moi elle me retourne les viscères, me rend physiquement, profondément mal. J’ai donc sûrement un problème, je refoule un truc, ou alors on m’a traitée façon Orange mécanique pendant mon sommeil ?

Alors évidemment (?) la culpabilité. Alors des fois, avant que j’ai le temps de m’en rendre compte, je me retrouve en train de hurler avec la meute. La meute est alors ravie, je suis enfin l’une des leurs. Et moi, je me fais honte. Parce que non, c’est pas moi.

Friends

Ma vie n’est pas un  combat. C’est parfois une course d’obstacles, certains sont rudes et épuisants, oui, mais je n’ai pas d’ennemi, à part l’inertie d’un vieux système de pensée.
De la colère, en fait j’en ai, évidemment je dis très souvent fuck. Mais de la colère contre des idées, jamais contre des gens. Et ceux qui ne font pas la différence me mettent très mal à l’aise. Crier ACAB (ou AVAB), c’est pas pour moi, ça ne m’intéresse pas.

Je refuse que ma vie soit un instrument, est-ce qu’elle est inutile pour autant ?

Moi j’aime apprendre, comprendre, et m’améliorer. J’ai la faiblesse de penser que c’est le cas de beaucoup, et surtout que ça ne peut se passer que dans l’échange, pas dans la contrainte.
Battez-vous, débattez-vous, moi je débats. #Punchline.
Les barricades c’est bien pour se défendre, mais ça isole aussi. Moi j’aime mieux construire des ponts, c’est juste ce que je sais faire de mieux je crois, et je ne pense pas que ça soit inutile.

Je n’ai pas votre énergie, vous n’avez pas ma patience. Je n’ai pas votre compétence, connaissance, bagage militant, vous n’avez pas ma diplomatie (je vous vois, les ricaneurs ^^). Je reconnais la nécessité de vos actions coup de poing, mais j’aimerais qu’on apprenne à considérer que ça n’est pas tout.

Quand tu cries « Connard de valide, change ça ou je dis à tout le monde que tu t’en fous » (si si, des fois tu fais ça), je prends le temps de leur demander ce qu’il comprennent de notre situation, de notre ressenti. Et c’est fou mais ça les intéresse vraiment quand tu le fais bien. Et c’est des petits chatons honteux quand ils réalisent leur impact. Et ils passent à autre chose, oublient la « leçon de vie » juste après ? Non, parfois ils s’adaptent, concrètement. Pas toujours, non (avoue que ton approche n’est pas non plus un formidable succès), mais pour les fois où ça marche, je continuerai.

Mégasurprise, des fois j’aide des handis, aussi. Individuellement puisque je ne suis pas douée pour le collectif. En sous-marin, puisque je ne vois pas l’intérêt d’en parler. J’écoute, je raconte, et je crois que des fois ça aide. C’est pas une mission, ça me prend juste quand je le sens, juste quand les vents sont favorables. D’une façon qui me ressemble.

Sur twitter ou dans la vie, je parle de plein, plein, PLEIN d’autres sujets, utiles ou futiles (parce qu’ils me préoccupent plus, sincèrement), et je crois que même ça, ça a du sens. Je crois que quand on me dit « Ah je te lis depuis un moment, j’avais pas compris que tu étais handicapée », ça a du sens. Ça me fait plaisir, pas parce que j’arrive à faire illusion, pas parce que j’arrive à dissimuler quelque chose qui me fait honte (surtout pas) mais parce que dans leur surprise, il y a quelque chose qui se déconstruit, et qui rend autrement réceptif à ce que j’en raconterai par la suite.

Quand je pédagogise sans en avoir l’air, peut-être que justement, c’est important de ne pas trop en avoir l’air. Parce que non, décidément je ne suis pas une leçon de vie.

… Je me fatigue. Le vrai problème c’est que je suis en train d’écrire 3 pages pour justifier que je suis pas dans le moule militant mais que t’as vu, je ne suis pas complètement nulle, ma vie pas complètement inutile quand même, allez pardon, s’il te plaît.
Alors que personne ne me demande rien.
Et ça fait 4 mois que j’arrive pas à finir cet article parce que je veux pas avoir l’air de critiquer, blesser, cracher dans la soupe. Oui je suis en colère (tiens) mais surtout contre moi.

Le problème c’est que « Tu sers à rien » est devenu une insulte courante chez les jeunes (je crois, j’en connais plus trop). Merde, laissons-nous aussi le droit, parfois, l’éventualité de ne servir à rien. Maintenant je vous laisse, camarades, je vais arroser mes tomates.

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