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Zone blanche

16h.

J’avais fait mon paquetage soigneusement. PC, liseuse, téléphone bien sûr, casque, tous les câbles nécessaires. Et puis une culotte, vite fait. J’allais passer la nuit à l’hôpital pour un petit contrôle de routine (une formalité, je sais que je vais bien, mais je crains d’être devenue raisonnable avec l’âge). Je savais que l’accueil serait adorable, que le bâtiment est tout neuf, mais qu’il a un défaut considérable : en certains endroits on n’y capte pas une onde. Je savais que je devrais, pour ne pas mourir d’ennui, payer (un prix indécent) un code d’accès au réseau de l’hôpital.

J’arrive tout sourire, on me prend mes constantes et je préviens que je m’éclipse parce que le réseau là, ah ah, lol.

Bureau -dit- multimédia :

– Bonjouuuur, je voudrais un code wifi pour 24h s’il vous plaît !
– On a pas.
– J… Je. Comment ? Vous ne faites plus euh…?
On a pas.
– Mais han, euh, parce que, euh, enfin, du tout quoi ?!…
– Non. (Non, j’ai pas senti de vague de compassion jaillir de cette dame. Je parierais sur bourreau dans sa vie précédente)
– Han… Ok… Bon ben… D’accord…
Et je suis repartie. Et je suis revenue. “Ah, pardon : au revoir.”

Et je suis allée me prendre un petit remontant à la machine à café. J’aurais pas dit non à un whisky mais croyez-le si vous vous voulez, ils n’en avaient pas non plus. (Comme je vais te les saquer sur trip advisor, eux…)

J’ai envoyé quelques messages de détresse au soleil de la 3G extérieure, et suis retournée mourir dans l’isolement glacial de ma sordide tour d’ivoire. (arrêtez moi si j’en fais trop) Après avoir quand même envisagé semi-sérieusement leur dire “Non mais laissez tomber, j’ai pas vraiment besoin de ces examens, vous embêtez pas je rentre chez moi.”

***

19h37

j’ai évidemment mangé il y a déjà 1h30. J’espère survivre à cette traversée du désert. Je sens déjà ma santé mentale décliner douloureusement. Si je péris dans l’aventure, ceci fera une formidable oraison funèbre.

Internet quoi. C’est quand même fou, hier encore j’avais 10 ans. On on s’écrivait avec des lettres, on téléphonait avec des fils en tir bouchons, et on survivait à peu près, je crois.

Le manque me rend nostalgique. Seize ans, j’ai un prof d’allemand fabuleux. Il parle de web comme il parle des voitureuh avec une exaltation communicative. L’oeil éclatant, la barbichette frétillante, il nous parle d’IRC. Nous explique qu’on peut discuter en simultané avec des gens à l’autre bout du monde. Qu’à la seconde précise où l’autre pense, écrit, envoie un mot, nous on le voit s’afficher, lettre après lettre sur l’écran noir de nos nuits blanches. C’est l’avenir les jeunes, c’est qu’un début, mais qu’est-ce que vous attendez pour vous y mettre ?!
Je suis déjà un peu au courant moi, mais je bois son enthousiaste comme du whisky petit lait.

Gérard Siebert, vous aviez raison, c’est formidable tout ça. Mais internet a ses limites quand même : pas moyen de vous retrouver. Vous, geek de la première heure, je suis sûre qu’il vous arrive de taper votre nom dans google, pour vous assurer que vous n’êtes pas traçable. Alors si vous tombez ici un jour, je voulais juste vous dire merci, ils sont rares et chers, les comme vous. PS : si vous savez cracker le wifi de l’hosto, appelez-moi, merci, bisous.

***

20h04

J’ai creusé un tunnel sous mon lit pour m’évader un moment, je sors. CRIP RIOT ! \o/ J’envoie quelques messages qui disparaissent sans faire écho, au fond du puits de ma solitude.
“On va fermer les portes mademoiselle, il faut rentrer maintenant.” /o\ 

***

21h14

JE CAPTE DANS LA DOUCHE !!!… Ah non, je ne capte plus.

Je pars traîner négligemment dans les couloirs du service, l’oeil rivé sur mes petites barres. Oh le bout du couloir, oh oui mon précieux ! Du réseau ! J’en déloge sans aucun scrupule une jeune fille en train de téléphoner. On se regarde, on se comprend. Le manque ronge nos âmes et creuse nos yeux.

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***

22h01

Les matons vont venir sonner l’extinction des feux et me ligoter à une machine. Sans doute partie de leur plan machiavélique d’évaluation de mes signes vitaux en situation de stress extrême lié au manque. Je m’échappe une dernière fois dans le couloir prendre ma dernière dose. Je la croise une nouvelle fois. Elle erre, désincarnée, frêle silhouette pendue au téléphone (« pendue », parce qu’avant les téléphones avait un fil, tu te souviens ?!). Je crains qu’elle ne passe pas la nuit. Regards de dures à cuire. T’en as, toi ?

Derniers messages d’une condamnée.

***

1h57

Je scrute le plafond blanc, incapable de mettre mon cerveau en veille. Il suffoque sans ses ondes cancérigènes tel un poisson sans eau, tel un avion sans elle, tel un coca sans whisky, tel Roméo sans Virginie. Tel, oh mon tél sans réseau. Je sombre, adieu monde IRL…

***

4h42

ALARME, ON LA PERD, ON LA PERD, ON EST ALLÉS TROP LOIN LES GARS ! Ça bipe de partout mais non, en fait c’est juste un petit bug de la machine. Ils me débranchent, ils ont déjà accumulé suffisamment de données sur le spécimen. Je me rendors, d’un œil seulement, de peur qu’ils ne profitent de mon sommeil pour m’implanter un brouilleur d’ondes sous la peau.

***

8H01

Petit déjeuner au lit. (8h01 ? Tiens, ils reprennent une étoile trip advisor, là, pas mal la grasse mat…) Avant tout contact avec le monde extérieur, donc. Weird mais ça passe. Attendant les instructions pour la suite, je bouquine un peu au lit. Je crains que l’ivresse du manque n’ait atteint quelque faculté mentale. Je me surprends, avec un effroi désincarné, à me dire que finalement, c’était pas si mal d’en profiter pour lire et écrire comme rarement. On se ferait pas un petit week-end de retraite débranche dans une campagne hors-zone un de ces quatre ?…

***

9h08

Ah ah, non je déconne, dégagez le couloir j’arrive ! \o/ \o/ \o/

***

10h42

Je passe la porte en femme libre, la tête haute et pétillante d’ondes 3G, avec l’aval des docs confirmant que ouais, j’étais quand même une force de la nature. (Je vous l’avais bien dit…)

Je n’ai jamais revu la frêle jeune fille du couloir…

Published inNon classé

7 Comments

  1. Antoine Antoine

    Au passage, je proteste. On doit écrire “1” dans le captcha, on ne peut pas écrire “un”.
    Le littéraire que je suis souffre.

  2. Antoine Antoine

    La retraite sans ondes, je suis pour. Du moment qu’on emmène du lube et des capotes.

    • celinextenso celinextenso

      Retraite au Lube & ronds, yeah !

      • Antoine Antoine

        Je ne renchérirai pas, ça va devenir sale.
        Ca l’est déjà assez.

  3. Ouaou…. Toute une nuit… Et tu as eu des séquelles finalement ? Le retour des paquets IPs n’a pas été trop douloureux ? Retour d’expérience joliment écrit en tout cas… Quant au weekend à la campagne en zone blanche… On commencera peut être par une simple journée peut-être non ? 😉

    • celinextenso celinextenso

      J’aime pas faire les choses à moitié moi, quitte à relever un défi, autant qu’il en jette un max, va pour une semaine ! 😀
      (Ça fait toujours plaisir de te croiser sur les réseaux, tu te fais rare ! :-))

      • C’est vrai, je m’exprime moins, mais je vous lis toujours autant avec plaisir…
        NB: une semaine non, il faudra y aller par pallier 😉

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