Aujourd’hui je suis enfin allée voir le film intouchables. Je peux enfin parler en connaissance de cause, alors je ne m’en prive pas, je cause.
– Moi qui n’aime généralement pas les comédies, j’ai trouvé ça plutôt drôle, j’avoue. J’ai ri et souri plusieurs fois. Il y a de bonnes répliques, Omar Sy est un bon acteur comique, et Cluzet est un bon acteur handi. J’ai retrouvé certaines situations auxquelles je suis parfois confrontée, et que je tourne également à la rigolade.
Par contre je ne comprends absolument pas l’ampleur de l’engouement que suscite ce film. Même en s’autorisant toute la niaiserie du monde, ça n’est pas un film qui vous transforme, vous rend meilleur, vous redonne confiance en l’humanité…
– Le film est effectivement bourré de clichés, oui, bien sûr, on s’y attendait. Le genre de comédie française pas très audacieuse, qui préfère miser sur des valeurs sûres, quitte à ne pas aider les clichés à s’estomper (pour être gentille). Les clichés se trouvent d’ailleurs beaucoup plus sur le décalage social que sur le sujet du handicap.
– Depuis le succès de ce film, j’entends partout dire qu’il change le regard sur les handicapés. Et ça me faisait plutôt flipper. Après avoir vu le film, je ne vois toujours pas nettement quelle idée du handicap peut en ressortir. La seule chose que je vois, à la rigueur, est une dédramatisation globale du sujet. L’idée que le handicap n’est pas qu’une tuile innommable, et qu’on peut l’aborder avec une relative légèreté voire même de l’humour. On peut même toucher un handicapé, sans avoir bac+8 en médecine. De ce côté, c’est vrai que le français moyen est terriblement frileux, alors si c’est ça tant mieux.
– Maintenant, ce que je craignais et qui m’a agacé : le cliché de l’assistant ami, le valide vient stimuler l’handi, égayer sa vie de solitude. Et les gens n’ont pas fini de me dire « ah c’est bien, en plus ça te fait de la compagnie »… Ça ne ressemble en aucun cas à ce que je demande à mes assistants. Driss serait un super ami, mais un très mauvais assistant ! C’est une chose qui me tient très fortement à coeur, l’assistant n’est en aucun cas là pour me tenir compagnie ou me conseiller, mais uniquement pour remplacer mes bras (et ça n’empêche pas qu’on se bidonne souvent). Hors de question qu’un assistant me dise ce que je devrais faire, intervienne avec autorité dans ma vie sentimentale, prenne des décisions (dans le film, l’handi se laisse complètement gérer par les autres)… Je suis désolée mais c’est le renvoi assuré. Alors quand l’handi et son assistant profitent ensemble des charmes d’une masseuse, les bras m’en tombent.
– Justement, parlons en. C’est peut-être anecdotique, mais non, pas de bras pas de chocolat, ça n’est PAS drôle.
Recadrons un peu le truc, à l’origine la blague était très drôle. Moi, gamine, ça me faisait mourir de rire hein. La blague, c’était sans aucun contexte : « Maman, maman, tu me donnes du chocolat ? Allez maman, donne-moi du chocolat ! -Non, je t’ai déjà dit, pas de bras, pas de chocolat ! » C’est drôle parce que l’information du handicap n’est pas donnée avant la blague. Du coup, la réponse de la mère est doublement surprenante : à la fois on apprend que l’enfant a de bonnes raisons de réclamer (il ne peut pas se servir lui-même) et en même temps, on est confronté à une brimade de la mère tellement absurde qu’elle fait rire. (Ça sonne comme une punition, comme pour une bêtise, alors que la privation de bras elle-même est déjà suffisamment dure). Excusez-moi pour l’explication de texte, mais je l’aime bien, cette petite blague, je trouve qu’elle a des raisons d’être drôle.
Est-ce une raison pour trouver ça drôle de le reproduire face a un handicapé ? Laissez tomber, ne réfléchissez pas, je vais vous souffler la réponse : c’est non. Parce que le contexte du handicap est physiquement évident déjà, donc pas de surprise. Ensuite, la blague a été tellement faite et refaite, que c’en est devenu un lieu commun, là encore aucune surprise.
Alors une fois qu’on a enlevé ce double effet de surprise, qu’est-ce qui reste ? Et bien il reste une affirmation bête et méchante de domination physique. Oui, comme je vous le dis, pendant que la salle s’esclaffe, moi c’est ça que je vois. Moi je vois le rictus de l’handi, à qui on l’a déjà fait 2000 fois, et qui doit passer par la case “Je rigole avec toi, ahah je te fais croire que c’est drôle, pour que tu veuilles bien concéder à me donner enfin ce que je te demande”. Je trouve cette scène interminable, une vraie torture. Dans le même genre Marie avait décortiqué la scène du rasage.
Je connais des tas de personnes pas très à l’aise avec le handicap, qui ont voulu faire comme si c’était le contraire, et se sont amusées à me répondre “non” en me regardant droit dans les yeux, si je demandais quelque chose, pour me faire rire (non mais ahah, mégalol hein) et me prouver que “wa, elle n’a vraiment aucun tabou elle, trop fort”. Avant de déclarer, grand seigneur “mais nooon, je déconne, bien sûr que je vais te le donner”.
(Revoyez la scène et le rictus)
Alors oui, vous allez me dire, pour une fois qu’on peut rigoler un peu du handicap, on se détend, et tout de suite on vexe des gens et il faut à nouveau faire attention à tout ce qu’on dit. Ben oui. On a le droit de faire de l’humour, avec le handicap comme avec le reste, mais on a surtout le droit d’être drôle.