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Rapport à mon corps

À l’automne dernier, un soir je vois passer un appel sur twitter. Il photographie des gens. Des corps. Nus. Et déplore de ne travailler qu’avec des corps relativement normés. Moi j’avais jamais envisagé ou souhaité ça, mais en roues libres je lui écris « Ah ben si tu veux du non-normé j’ai ce qu’il te faut ! ». Je crois même pas que j’étais ivre.
Le lendemain, je prends le temps de regarder un peu plus à fond ce qu’il fait, et c’est bien. Je lis ce qu’il écrit de sa démarche personnelle et ça me plaît encore plus. On échange quelques mails, et je découvre une personnalité, une sensibilité, une intelligence, qui me plaisent. Beaucoup. Oui, cette idée bizarre, déraisonnable, était une bonne idée, je veux le faire. Avec lui.
Son site s’appelle « rapport au corps » et sur le mien, il y a du dossier.

Moi j’ai un corps depuis quoi, 3 ans environ.
Avant aussi, probablement, mais c’était confus, ça ne me parlait pas. C’était un corps logique, évidemment nécessaire, et puis basta. J’ai pas tiré le plus facile, carte joker handicap, mais bah, il fallait bien, alors je faisais ce qu’il fallait pour lui. D’ailleurs plein de gens faisaient tout ce qu’il fallait, autour de moi, ça les préoccupait sans doute encore plus que moi. Bon, c’était comme ça. Docs, chirs, kinés, parents.
Mon corps c’était pas le truc le plus réjouissant de mon incarnation, alors j’ai préféré investir d’autres zones de ma vie.
Esthétiquement, je me sentais à peine concernée par lui. Je comprenais, j’entendais qu’il pouvait être gênant, indésirable, choquant. Différent, bouh, pardon braves gens. J’entendais, petite, à propos de mes vêtements « C’est bien, ça cache, on ne voit pas ». On ne voit pas quoi ? La scoliose, le corset, les trucs pas complètement symétriques en moi. Ça cachait moi un peu aussi, il paraît que c’était mieux.
Oh je ne l’ai pas vraiment mal vécu, je m’en moquais un peu puisque de toutes façons ce corps ne m’intéressait pas. Mais il y avait cette gêne gênante, un peu collante. Ça pèse évidemment.
Devant mon miroir, pas vraiment de rejet, juste un éternel rappel surpris « Ah oui c’est vrai, je ressemble à ça. C’est ce que les autres voient. ». Au pire « Ah ouais, pas de bol ». Et puis basta.
Des complexes à l’adolescence ? Même pas trop, je me sentais tellement pas concernée. Et puis la rationalité qui s’imposait, toujours, brute. « J’ai un handicap super lourd, et j’y peux rien. Alors je vais pas me mettre à complexer parce que j’ai pas de poitrine, des lunettes, ou le cheveu qui frisotte, ça serait idiot, tout le monde s’en fout à part moi, les gens ne voient que le fauteuil de toutes façons. Ouais, pas con. Mais dans tout ça, il n’existait pas le petit bichon. (Oui, maintenant on s’aime bien on s’appelle bichon) Et c’était pas très sain.
En matière de séduction « Bonjour, t’occupe pas de ce machin de chair et d’os, c’est mon véhicule nécessaire mais je suis un pur esprit », clairement ça marche pas.
Tout ça, sous couvert de c’est-pasgrave, c’était quand même bien délétère.

Au fil des ans, les autres, blouses blanches et famille ne s’en préoccupent plus vraiment, je reprends les rênes, doucement mais fermement.
Et puis un jour, va comprendre. Le déclic, YOLO. « Hé mais attends j’ai un super jouet là, on peut aussi s’amuser avec, sérieux ? ». Pour une raison obscure, pour des facteurs divers, ou aucun, peu importe.
Je vois d’ici vos yeux luisants de stupre, mais calmez-vous je ne parle même pas de sexe, enfin pas que. C’est l’enfance de l’art, ça se passe tout seul, j’incarne mon corps. Je le ressens, de mille façons, plein pot. Je m’en émerveille, tout s’éveille. Je me colorie les cheveux, je fais des dessins sur ma peau, et c’est enfin moi dans le miroir. J’expérimente plein de choses, j’exalte.
J’ai toujours une scoliose, plein de trucs asymétriques un peu tordus, différents. Des lunettes et autres particularités banales aussi. Et je ne crois plus que ça dérange. Je ne cache plus rien, et ça plaît même, je crois. Mon corps est différent, en quoi ça l’empêcherait d’être beau ? Et puis en fait je m’en fous sincèrement de le trouver beau ou pas. Je lui trouve du chien, et j’aime son caractère un peu cabotin.
Je l’incarne maintenant avec fierté et confiance. Loin de moi l’idée qu’il serait meilleur qu’aucun autre, mais plutôt crever que de m’en séparer (ah ben ça tombe bien…) Je n’en voudrais juste aucun autre.
Je ne le cache plus. Du tout. Un amant me déshabille pour la première fois ? Même pas je tremble de son regard sur moi. Mon corps tu l’aimes ou tu le quittes, c’est ton problème pas le mien.

On aura mis presque un an à réunir les conditions nécessaires à cette séance photo. J’en sors, et c’était bien.
Je crois qu’il a l’habitude de photographier des gens moins contents leur image (étrangement ouais, peut-être) et que ça lui fait plaisir de pouvoir offrir un peu de confiance en soi à travers ses photos.
Je ne crois pas que j’avais besoin de ça. De me voir belle, féminine, ou je ne sais quoi de valorisant.
Qu’il ne croie pas que j’avais moins besoin de cette séance pour autant.
Me voir, tout court, c’est un cadeau. Je n’ai jamais eu cette vision intégrale sur moi, Dans le miroir je suis assise et rarement nue. Si j’ai déjà bien travaillé à recoller mes morceaux, ça aide quand même fort.
Me montrer aussi sûrement. J’ai pas fini de dire fuck à cette petite phrase insidieuse « c’est bien ça cache ». Cramez-vous les yeux en me regardant, c’est plus mon problème.
Et puis le faire, juste le faire. Je ne sais pas si ça clôt mon cheminement, non je ne suis pas sûre d’en avoir encore tout à fait fini, mais ça y participe joliment. Je suis contente d’avoir su me proposer sans trop y réfléchir. Je suis contente de n’avoir eu comme seule angoisse pour cette séance de nu « Mamaaan comment je vais m’habiller ?! ».
Il y a 3 ans j’ai commencé à vivre sans carapace, et j’ai peut-être pris le truc un peu trop au pied de lettre, mais zut, pour vivre heureux vivons tout nus.

Alors non, les photos ne sont pas encore visibles. Oui elles seront belles, j’ai toute confiance en lui. Ça n’est pas le plus important, mais si vous êtes vraiment curieux vous n’avez qu’à le suivre. Oui, faites ça il le vaut bien. 🙂

Published inNon classé

2 Comments

  1. bldine bldine

    J’ai l’impression que tu as un rapport à ton corps plus sain que moi du mien… qui suis tout à fait valide, et pas trop en surpoids (en ce moment) !!! Bref, très beau texte, merci…

    • celinextenso celinextenso

      J’ai souvent cette impression aussi. Euh pas par rapport au tien, hein ^^ mais par rapport à des gens valides, aux corps beaucoup plus normés que le mien. Et ça m’étonne, et en même temps, pas tellement. C’est bien la preuve que ça repose sur bien peu de données objectives, mais que ça se nourrit surtout de nos histoires, de nos peurs, de la sommes de petites phrases anodines entendues mais qu’on a pu cristalliser, de nos émotions qui viennent s’y coller…
      Je te souhaite des rapports plus apaisés avec ton corps à venir, et je t’embrasse. :-*
      (C’est dommage tiens, Eric était près de chez toi ce week-end :-p)

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